La résistance ordinaire se distille de manière implicite, voire inconsciente, derrière les pratiques des acteurs au quotidien. Les individus sont amenés à remplacer progressivement les normes et schémas d’interprétation imposés par l’idéologie dominante par leurs propres valeurs ou normes socioculturelles, et altèrent par conséquent le sens initial qui leur était donné. Ce faisant, ils défient l’hégémonie de la norme organisationnelle, et construisent au travers de leurs pratiques du sens culturel qu’ils entretiennent et reproduisent au quotidien. Ces pratiques quotidiennes deviennent symboliquement des micro-actes politiques (Bourdieu, 1979) de résistance ordinaire, dans la mesure où elles expriment implicitement un rejet du sens initial ancré dans les pratiques normées et leur remplacement par un sens alternatif appelé à se normaliser. Hebdige (1979) note à cet effet que le défi pour la suprématie de la culture dominante ne provient pas directement de l’individu mais davantage du sens connoté de son action qui percute la signification associée à la culture dominante édictée : le simple fait de discuter ou d’amender la norme revient intrinsèquement à la contester et à s’y opposer même si ce n’est pas forcément fait de manière explicite ou consciente. La résistance tacite et ordinaire s’exprime ainsi dans le contournement des codes et normes (Moisio et Askegaard, 2002) et dans la confection de solutions alternatives au quotidien. Le cadre conceptuel de la résistance ordinaire paraît particulièrement adapté à l’étude des tensions en milieu hospitalier, qui constitue un environnement fortement normé où des contraintes fortes s’exercent sur les soignants, sans que ceux-ci puissent contester ou s’extraire totalement des règles en vigueur dans l’organisation. Cet article a pour ambition de contribuer à une compréhension plus fine de ces tensions et des mécanismes utilisés au quotidien par ces acteurs pour déjouer la suprématie des normes professionnelles, dans le cadre de la relation de service à un public caractérisé par des formes de vulnérabilités physiques et mentales, les patients âgés.